Préface Gondras – Château-passion, Château-business

Dans ce monde de mutations rapides, en une génération, les châteaux de France ont accompli leur mue. En 1967 Henri-François de Breteuil était un précurseur qui étonnait et intriguait. Aujourd’hui, il est une référence.

 

Dans Vies de Châteaux, Eric Mension-Rigau nous relatait les affres de ces châtelains qui « entrent à reculons » vers l’ouverture de leurs demeures familiales, avec le sentiment justifié de la fin d’un monde, celui que leurs parents et grands-parents avaient connu, et d’un saut vers l’inconnu, vers un avenir incertain et m’me inquiétant.
Mais tous ces châtelains, dont seule l’année de naissance apparaissait, étaient nés avant la Seconde guerre mondiale.

 

Désormais les châtelains du XXIe siècle que décrit Annie Gondras dans son bel ouvrage assument pleinement cette mutation et s’adaptent tant bien que mal au monde d’aujourd’hui, car ils ont compris qu’ils n’avaient pas le choix. Héritiers ou acquéreurs, ils savent que leur monument ne pourra rester entre leurs mains et celles de leurs successeurs que s’ils en ont fait, d’une manière ou d’une autre, un outil de travail.
En se professionnalisant, nécessité oblige, les châtelains du XXIe siècle découvrent que la sortie du tunnel est possible. L’Internet s’est substitué aux vaches à lait. En dehors des domaines vinicoles, aucun château ne vit plus de ses terres. Le code Napoléon et les évolutions économiques ont eu raison du vieux modèle connu de nos arrière-grands-parents.
Mais pour ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain », tous les châtelains contemporains ont compris que le vrai potentiel économique était dans le château lui-même. Parce que nos vieux châteaux chargés d’histoire sont inscrits dans le patrimoine de l’imaginaire collectif de l’humanité.
La rude réalité économique des châteaux déficitaires « par nature » va puiser à la source de son renouveau dans les mythes tenaces des contes et légendes, dont le théâtre d’ombres est orné de tours et tourelles, donjons mystérieux et de douves désormais accueillantes.

Le châtelain « gagnant » est celui qui trouve la formule magique par laquelle il transforme son château en aimant (dans tous les sens du terme !) qui exerce un véritable magnétisme sur nos contemporains et au passage génère les revenus nécessaires pour en assurer la pérennité « The good manager is the one that transforms his liabilities into assets  » [le bon gestionnaire est celui qui transforme ses contraintes en atouts] martelait mon professeur d’économie américain. Il avait raison, et c’est évidemment transposable pour nous, gestionnaires de nos vieilles pierres.
Pour son propriétaire, château rime avec fardeau. Mais pour son visiteur ou son hôte, le château continue d’être auréolé de prestige et rempli de mystères à percer. Même si l’ombre portée de la Révolution française plane encore et toujours sur les châteaux de France, fragilisant de manière récurrente leur légitimité, elle n’a pas détruit la légende, au contraire même, car ils apparaissent comme les vestiges d’un monde englouti qui continue de fasciner et d’intriguer.

 

A chacun et à chacune d’entre nous de savoir relever ces défis certes bien compliqués, mais ô combien passionnants.
Pour gagner, pour en quelque sorte transformer le plomb en or (ou le fardeau en pépite !), il faut savoir faire un bon audit de ses forces et faiblesses, des atouts et des contraintes de son monument. Acquérir les compétences nécessaires pour développer son outil et savoir trouver les bonnes compétences complémentaires !
Le secret des secrets est de savoir aimer son château et de savoir partager cet amour. Certes, le propriétaire doit apprendre à être gestionnaire, mais s’il ne sait pas faire ressortir l’âme du lieu qu’il habite après tant de générations qui l’ont précédé, il le banalise, casse le rêve et détruit la magie.
Etre un gestionnaire pragmatique et efficace tout en ne dépouillant pas le château de ses sortilèges, telle est l’équation difficile du châtelain d’aujourd’hui !

 

Le châtelain du XXIe siècle doit aussi savoir jouer « collectif ». Quels que soient nos talents individuels et la qualité de nos efforts, ils ne suffiront pas si nous ne savons pas convaincre du caractère d’intérêt général de notre action.
La transmission est au coeur de notre responsabilité : transmettre et illustrer l’Histoire, transmettre les savoir-faire, relier à nos racines communes, redonner le goût et la fierté d’un passé qui n’a pas manqué de panache même si on peut critiquer ses cruautés, ses manques et ses insuffisances, voilà les axes et les messages que nous devons véhiculer.
A cette fin nos actions individuelles doivent être relayées par nos organisations collectives, qu’elles soient La Demeure Historique, les Vieilles Maisons Françaises, le Comité des Parcs et Jardins, ou la French Heritage Society, entre autres !
Soutenons chacun d’entre nous ces organisations représentatives, car c’est au travers d’elles que nous pourrons trouver au sein des décideurs publics et des chefs d’entreprise les soutiens dont nous avons besoin pour assurer la pérennité de nos demeures.

 

Denis de Kergorlay
Président de French Heritage Society
Propriétaire du château de Canisy