Châteaux de famille, ni musées ni hôtels par Denis de Kergorlay

Appelons un chat un chat et un château un château. Nous n’allons pas parler des châteaux morts, ceux transformés en musées ou en hôtels : ce ne sont hélas plus que des décors, des fantômes de châteaux. Nous allons parler des seuls châteaux vivants : les châteaux de famille c’est à dire les châteaux habités. Habités par la famille propriétaire, toutes générations confondues, mais habités aussi par les souvenirs de famille, tous ces meubles, tableaux, livres, archives qui témoignent du passé vivant des châteaux. Dans les châteaux de famille, les vivants et les morts cohabitent – c’est pourquoi tout le monde est à l’affût des fantômes !

Mais les châteaux vivants meurent les uns après les autres : trop de charges, et pas assez de perspectives. Pour rester vivant, le château de famille doit muter, ou à tout le moins muer : changer de peau, mais garder la chair.
Devenu trop grand et trop lourd pour une famille d’aujourd’hui ? Alors il doit impérativement ouvrir ses portes au-delà des frontières familiales. Mais ouvrir c’est beaucoup plus que vendre des tickets de visite. Le château doit aller à la rencontre des coeurs et des imaginations. C’est une question de survie, mais ce peut être aussi une aventure passionnante.

Les propriétaires de châteaux vivants sont- ils vraiment conscients que le rêve de château est universel ? Ce n’est pas qu’en Europe que les petites filles se sont rêvées en princesses et que les petits garçons se sont représentés en preux chevaliers. L’enfance du monde entier continue d’être bercée par ces rêves… de châteaux ! Alors imaginez la désillusion de la petite fille et du petit garçon devenus grands et qui, rêvant de château encore pour servir de cadre au plus beau jour et à la plus belle nuit de leur vie, ne rencontrent plus que des musées où les meubles n’existent que pour les yeux, placés de l’autre côté d’une cordelette aux allures d’interdit, ou bien des hôtels certes de luxe mais sans âme et où le moindre désir est tarifé…
Non, le château vivant – ou château de famille – c’est autre chose. C’est un vrai château où les odeurs et les couleurs sont d’autrefois, où les sourires n’ont pas d’aspect commercial, où l’hier et l’aujourd’hui, le rêve et la réalité sont étroitement entremêlés. Les trésors ne sont ni factices ni artificiels, tout y est authentique, et l’atmosphère y est légère et de liberté. L’accueil est familial et le visiteur ou l’hôte sont reçus en amis. Le vrai trésor des châteaux de famille est l’atmosphère qui leur est si propre, celle dégagée par leurs objets d’autrefois, mais aussi par l’accueil de leurs hôtes d’aujourd’hui.

Dans les années soixante-dix, les jeunes Médecins Sans Frontières avaient fait une campagne d’affichage formidable avec pour slogan : « Dans leur salle d’attente, un milliard d’hommes … ». Dans un registre moins dramatique, à l’échelle planétaire, c’est aussi une foule d’hommes, de femmes et d’enfants qui rêvent de séjourner dans un vrai château où ils seront accueillis en amis et où ils vivront leur rêve d’enfant. Et, parmi eux nombreux sont ceux qui ont acquis les moyens de réaliser leur rêve…Alors apprenons à ne pas les décevoir : il faut savoir répondre aux attentes latentes. Pour l’intendance et la facturation, c’est une affaire d’organisation. Mais auparavant il faut faire travailler le coeur et l’imagination…pour aller à la rencontre du coeur et de l’imaginaire des autres !

Tocqueville, un château de famillequi maintient vivante la mémoire d’Alexis de Tocqueville.
En cette année du bicentenaire de la naissance d’Alexis de Tocqueville (1805-1859), le château de Tocqueville peut être cité en exemple du château de famille se situant entre tradition et modernité. Situé au bout du Cotentin, ce château si présent dans la vie et les écrits d’Alexis de Tocqueville a gardé intacts tant de souvenirs de l’écrivain : son bureau, sa bibliothèque, sa chambre et plusieurs manuscrits … A force de persévérance, de courage et de fidélité, la famille a réussi à le conserver et à le restaurer malgré un sévère incendie dans les années cinquante.

Traditionnellement, y sont reçus en amis des écrivains ou des amateurs d’histoire s’intéressant à l’oeuvre de Tocqueville. Cette année, les actuels propriétaires, Jean-Guillaume et Stéphanie d’Hérouville, arrières petits neveux d’Alexis de Tocqueville, recevront les membres de deux fondations américaines : la Tocqueville Society, d’une part et French Heritage Society d’autre part. Cette dernière vient d’attribuer son grand prix au château de Tocqueville pour un projet de restauration. Comme me l’indiquait récemment l’un des dirigeants de French Heritage Society, beaucoup de mécènes américains sont désireux d’aider les propriétaires français de monuments historiques qui sauvegardent la mémoire vivante de leur château et savent accueillir chaleureusement ceux qui s’intéressent à la page d’histoire qu’ils représentent.

 

 

Denis de Kergorlay vice-président délégué de La Demeure Historique